L’adieu à un ami

Je me rappelle avoir fait mes premières photos vers 8 ans. Tellement belles que je dois être le seul à m’en rappeler. À 15 ans, mon premier travail d’été m’a permis d’acheter mon premier appareil réglable, un Ricoh 35RF, non reflex, utilisé en mode auto car je voyais même pas à quoi pouvait servir tous les réglages. À 17 ans, j’ai commencé à apprendre à quoi tout ces boutons et ces chiffres servaient en intégrant un club photo, à la Poterne des Peupliers, cours animés par Gilbert.

C’était un club où l’on apprenait à développer et tirer ses photographies noir et blanc ou couleur (pour les nouveaux, cela veut dire charger et traiter ses photos dans l’ordi mais en plus exaltant). On apprenait la mesure de la lumière, l’usage du flash, le nombre-guide, le choix des optiques. On réalisait des projections de diapositives avec discussion sur la composition des images. Bref, tout ce qu’un photographe doit savoir faire si il veut vraiment faire de la photographie ! Le professeur était bénévole, comme certains autres de la Poterne. Nos cotisations permettaient de faire fonctionner le labo (une toute petite part) et le reste permettait de financer les gamins du quartier moins favorisés, finançant leur licence, leur permettant de faire du judo et autres arts martiaux, de l’escrime, du théâtre et bien d’autres choses sans débourser d’argent.

Je suis resté des années au club photo, même après être devenu professionnel. Des personnes, une ambiance, une passion commune, un maître, un mentor, Gilbert !

Un maître en photographie, non professionnel, et un mentor pour ma vie, personnelle ou professionnelle.

Des études dans la chimie, des connaissances pointues en optique, formateur de profession pour un grand groupe pétrolier, voyageant d’un site à l’autre en France et faisant en sorte de nous donner les cours photos tous les lundi soir. Curieux de tout, instruit de tout. De l’histoire de la photographie à l’évolution des techniques sur les pellicules, mais aussi sur les monastères du conflans, les orchidées, les trulli d’Italie. Vous lui disiez avoir été dans le Mercantour et on se retrouvait à passer une soirée à discuter sur les cornus gravés dans la roche mais il pouvait aussi vous parler du carnaval de Dunkerque ou de celui de Venise, en mots et en photographies. Très croyant, mais pas prescripteur de sa foi, je me souviens d’un voyage en camping-car pour le mariage d’un ami où nous avions dormi garé sur le parking à l’abri d’une église.

Pourquoi parler de cela sur un site de photographes professionnels ? Parce que nombre de photographes pros n’ont pas de diplômes et ont appris grâce à des passionnés comme Gilbert.

Aussi pour ceux qui me connaissent, ou qui me lisent régulièrement, vous savez maintenant d’où me vient ce désir de franchise et de probité sur notre métier et nos actes de façon générale. Sur le fait que l’on peut défendre l’intérêt général contre ses intérêts propres. Ces valeurs, ces règles de vie me viennent de mon mentor, Gilbert Renaudin.

Gilbert et son épouse, Françoise, ont été hospitalisés il y a trois semaines, malades de la Covid 19. Ils ont été mis sous assistance respiratoire en coma artificiel.

Gilbert s’est réveillé du coma mais pas Françoise.

J’étais à l’enterrement de Françoise hier, en Normandie.

En revenant, Je suis passé par l’hôpital de Flers pour déposer à l’accueil deux livres sur les trains de rêves pour Gilbert (aussi un de ses nombreux centres d’intérêts), les visites étant interdites. Je l’avais eu au téléphone dans la semaine. Il était fatigué mais il a insisté pour que je me renseigne sur l’état de santé d’un de ses vieux amis en maison de retraite et puis de voir ce que je pourrai faire pour le fils d’un ami qui cherchait un stage. Même triste et malade, il pensait à aider d’autres personnes.

Ce matin, sa petite fille m’a appelé pour me dire que son grand-père venait de décéder.

Toutes mes pensées vont vers Pascale et Agnès, leurs filles, et Blandine, leur petite-fille.

Je suis triste pour elles, je suis triste pour moi et pour tout ceux qui les ont connus, et pourtant, je me dis « comment Gilbert aurait-il pu vivre sans Françoise ? ». C’était un couple merveilleux.

La photographie professionnelle vit des moment difficiles. Fermeture des commerces et des studios, peur des lendemains… Dites vous que ce que vous vivez est fait pour éviter que d’autres personnes meurent de cette saloperie. Des gens biens, des gens d’exceptions, des gens que vous aimez.

Nous avons des points de vue qui peuvent être divergents, des désaccords sur des façons de faire et c’est normal. Néanmoins, j’aimerai vous dire d’avoir une pensée pour les gens qui vous sont chers et de ne pas hésitez à leur dire que vous les aimez. Et puis à vous tous, même si nous sommes en froid, prenez soins de vous.

Stéphane Riou
photographe, photographe professionnel